Le cabinet des curiosités de la comédie musicale, volume 3

Vincent Montagnana
34 min readJul 6, 2022

Et de trois !

Toujours la banane, toujours debout, comme le chantait vaillamment la frange la plus à gauche des fans de François Fillon. Passent les guerres mondiales, les catastrophes climatiques et les vagues pandémiques, nous sommes prêts à repartir vaillamment en quête d’ovnis filmiques et musicaux, raretés, nanars ou petits bijoux oubliés n’étant pas parvenus à passer à la postérité…

P.S. : Si tu as manqué les épisodes précédent, n’hésite pas à aller consulter la première et la deuxième partie du cabinet des curiosités de la comédie musicale.

Toi, c’est moi

René Guissart, 1936

Cocorico les aminches ! L’award du film le plus ancien de notre anthologie est attribué à une comédie musicale assez méconnue, bien d’chez nous. Haaaa, les années 30… La crise économique, la montée du fascisme, la famine en URSS, les congés payés pour les pauvres… Une période bien sombre de l’Histoire de l’Humanité qui ne nous fait VRAIMENT pas regretter de vivre notre petite existence paisible, bien pépouzes en ce début paisible de XXIe siècle.

Pills et Tabet, un duo de chanteurs mâles composé d’une endive molle et d’un sosie très approximatif de Jean-Marc Morandini, rencontre à cette époque un joli petit succès grâce au méga-tube Couchés dans le foin et à quelques revues de music-hall et opérettes. Dont Toi, c’est moi, créé sur les planches en 1934, et adapté pour le grand écran en 1936. Cette œuvre au charme suranné raconte les rocambolesques aventures de Bob — « Bobichon » pour les intimes — , un jeune homme oisif qui passe son temps à s’enjailler dans les dancings de la capitale avec Pat, son meilleur ami et compagnon de bamboche. Pour subsister, Bob profite honteusement des largesses de sa richissime tantine Honorine (l’immense Pauline Carton, actrice fétiche de Sacha Guitry), qui ignore tout de son train de vie de patachon… jusqu’à ce qu’elle le surprenne chez lui en pleine after partouze avec des filles légères et dévêtues. Fort courroucée, Honorine décide d’envoyer son galopin de neveu dans sa plantation de canne à sucre aux Antilles, en lui faisant croire qu’il pourra se la couler douce sous les cocotiers, alors qu’elle a secrètement demandé à son régisseur de le faire travailler comme un forçat à peine débarqué. Malin, Bob flaire l’entourloupe et, pour échapper à son futur labeur, propose à Pat, qui ignore tout de ce qui l’attend, d’échanger leurs identités — d’où le titre, hé oui ma gueule.

Quiproquos boulevardiers à gogo, ritournelles sirupeuses, rrrrroulages de ‘r’ frénétiques, bluettes inter-raciales, et même des meufs seins nus sur la plage — je voyais ça beaucoup plus prude, perso, les années 30 — , Toi, c’est moi reste encore aujourd’hui relativement drôle et plaisant, même pour un public de millennioles accros à TikTok… À condition de ne pas être trop incommodé par les remugles plus très frais que dégage cette évocation joviale du « temps béni des DOM TOM », où l’on pouvait s’enrichir tranquillou sur le dos du travailleur racisé. Forcément, trigger warning à l’attention des oreilles sensibles : on y entend le n-word à de très nombreuses reprises, encore plus que dans toute la filmographie de Quentin Tarantino.

J’ te suis, pas têtu sous les grands palétu

Ah Dieu ! que la guerre est jolie

Richard Attenborough, 1969

Sacrebleu, m’écriai-je alors que je m’apprêtais à apposer mes dernières touches au texte interminable que tu fais défiler sur ton écran de ton index agile et musclé, on dirait bien que j’ai com-plète-ment oublié d’inclure une comédie musicale des années 60 dans ma sélection ! Comment donc ai-je pu faire l’impasse sur cette glorieuse décennie qui nous a offert tant d’admirables gouffres à pognon, tant d’interminables puddings rococos gavés de stars plus ou moins sur le retour, tant de concepts improbables voués pour la plupart à sombrer dans les abysses du box office… In extremis, nous sommes tombés totalement par hasard sur Ah Dieu ! que la guerre est jolie, une monstrueuse superproduction de la toute fin des sixties, une fantaisie musicale croquignolette sur un des conflits les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité — fallait oser — qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas le fruit trop mûr d’une industrie hollywoodienne en pleine déréliction, mais un pur produit made in United Kingdom. La quasi-totalité de la crème de la crème des acteurs britanniques s’est d’ailleurs déplacée, pour participer à ce grand raout réalisé par le cinéaste très papa-dans-maman Richard Attenborough : Laurence Olivier, Ian Holm, Edward Fox, Dirk Bogarde, John Gielgud, Vanessa Redgrave, Maggie Smith, ils sont venus, ils sont tous là, ne fût-ce que pour une poignée de secondes à l’écran.

Derrière cette opulence ostentatoire de grande-bourgeoise se dissimule un pamphlet antimilitariste plutôt féroce de la Première Guerre mondiale. Une compilation en mode reader’s digest des « meilleurs » moments du conflit, rythmée par des chansons d’époque délicieusement désuètes. Les saynètes s’enchaînent mécaniquement, soit sur le front, reconstitué de manière plutôt réaliste et crédible, soit à l’arrière, représenté de façon plus stylisée sous la forme d’une grande station balnéaire, peuplée par un improbable melting pop de gens du peuple, de bourgeois, de grands généraux et de dirigeants européens.

Ah Dieu ! que la guerre est jolie est incontestablement spectaculaire dans le genre pompier, et sa critique tape souvent fort et juste, à tel point que le film provoqua un joli petit scandale à sa sortie. Mais la structure relativement décousue de la narration, les scènes qui se succèdent avec une science de la transition qui rappelle un peu celle des Monty Pythons — sans leur humour absurde — , les interminables séances de small talk entre les (trop) nombreux personnages du film, et une durée qui avoisine les deux heures vingt finissent un peu par provoquer une légère sensation d’indigestion.

Sacrés franç… belges !

L’Oiseau bleu

George Cukor, 1976

Les fins de carrière des grands cinéastes de l’âge d’or hollywoodien n’ont pas toujours été bien glorieuses. On accordera cependant volontiers à George Cukor, réalisateur d’Indiscrétions, Une Étoile est née ou de My Fair Lady, la palme de la persévérance pour sa curieuse adaptation cinématographique de la pièce de théâtre belge L’Oiseau bleu, co-produite par les États-Unis et… l’Union Soviétique. Cette association inattendue entre les deux grands pays rivaux de la Guerre Froide semble avoir pour ambition de reproduire, presque quarante ans plus tard, le charme naïf et enfantin du Magicien d’Oz avec Judy Garland. Contre toute attente, Cukor parvient à convaincre quelques stars plus ou moins fraîches de l’industrie hollywoodienne (Liz Taylor, Ava Gardner, Jane Fonda), de l’accompagner jusqu’en Russie pour un tournage qui va se dérouler dans des conditions beaucoup plus compliquées que prévu. Comédiens et membres de l’équipe de tournage américains ne sont, en effet, ni psychologiquement, ni physiquement, préparés à affronter les rudes conditions de travail imposées par la way of life marxiste-léniniste. Dysenterie, déshydratation, nourriture de mauvaise qualité, météo inamicale, barrière de la langue, rien ne sera épargné aux délicats organismes des répugnants petits bourgeois de l’Amérique capitaliste décadente.

Résultat : L’Oiseau bleu est un film qui pue sacrément la tristesse, avec ses faux airs de dramatique télé soviétique bien cheap, aux décors miteux et aux costumes élimés qui ont manifestement déjà bien servi. L’histoire ? À la demande de la fée Berylune (Liz Taylor sur la pente descendante de sa filmographie), deux gamins, Mytyl et Tyltyl (sic), partent à la recherche d’un mythique oiseau bleu porte-bonheur pour remonter le moral de leur petite voisine malade et confinée chez elle. Les pauvres gosses iront de désillusion en désillusion, repartant toujours bredouilles de leurs pérégrinations, fort mal orientés par la fée perverse narcissique Bérylune, qui les envoie systématiquement vers les endroits les plus chelous : le monde des morts, la porte des enfers, une forêt hantée par des arbres psychopathes et, CAUCHEMAR ABSOLU, un cirque minable squatté par des clowns creepy et des vieux bourges dépravés…

Après moult échecs tous plus traumatisants les uns que les autres, nos deux héros finiront tout de même par dénicher la créature magique… dans leur propre maison ! Tout ça pour ça, wsh.

Le feu ça brûle et l’eau ça mouille

Cinderella 2000

Al Adamson, 1977

Tu seras forcément aussi surpris que moi de l’apprendre, petit coquinou de lecteur, mais érotisme low cost et comédie musicale ont souvent fait bon ménage, particulièrement au cours des libertines années 70. Les représentants cinématographiques de ce sous-genre hybride de la sexploitation sont tellement nombreux que je pourrais facilement n’abreuver les sillons de ce troisième volume de notre anthologie qu’avec ces films impurs. Malheureusement, ma tolérance au porno bande-mou destiné aux hétérosexuels mélomanes atteindrait probablement très rapidement ses limites, bien avant d’avoir pu faire le tour de cette filmo gauchiasso-sataniste.

Guidés par l’indispensable site Nanarland, aux recommandations généralement plutôt solides, notre choix s’est donc porté sur Cinderella 2000, un film de 1977 réalisé par le vétéran du bis Al Adamson. Ce malheureux réalisateur acheva d’ailleurs son existence assassiné par son propre maçon qui, après avoir commis son forfait, dissimula le cadavre sous un jacuzzi — inutile de me remercier pour cette petite anecdote toute mignonne, c’est cadeau.

Normalement, je ne devrais pas avoir besoin de te résumer l’intrigue du film, qui est en toute logique, la même que celle du conte de Charles Perrault, en dehors de quelques digressions qui n’ont pas grand chose à voir avec la choucroute — dont une sinistre scène de gang bang entre Blanche Neige et les sept nain·e·s qu’on ne parviendra probablement jamais à effacer totalement de notre mémoire. Seule différence notable : l’histoire se déroule désormais dans une dystopie futuriste et orwellienne où un Big Brother moustachu interdit à la populace toute activité sexuelle. Esclave de sa belle-mère et des deux belles-sœurs, toutes nymphomanes contrariées, Cendrillon rêve d’être invitée à la mégateuf organisée par le dictateur émule de Chrisseutine Boutin. Avec l’aide de la fée marraine, représentée ici sous la forme d’un monsieur extra-terrestre très efféminé, elle parvient à se taper l’incruste au bal, et s’y fait trousser par l’officier étalon chargé par le gouvernement de satisfaire, dans les limites très strictes de la loi, les appétits sexuels des femmes ne pouvant plus résister à l’appel de la chair. Après s’être échappé de la soirée comme une vilaine petite sauvageonne, la jeune fille finit par retrouver son « prince charmant » alors que ce dernier s’est mis dans le crâne d’« essayer » les vagins de toutes les femmes du pays pour la dénicher. Dans un élan de générosité altruiste, nos deux tourtereaux parviennent aussi à convaincre Big Moustache d’autoriser enfin la pratique de l’amour libre.

Sur ce canevas maintes fois éprouvé s’enchaînent scènes de cul mollassonnes, numéros musicaux très approximatifs et des séquences de dialogues bouche-trous — pun intended — interprétées par des acteurs en sur-régime. Visiblement fauché mais plutôt pop et coloré, Cinderella 2000 rappelle parfois, toutes proportions gardées, les premiers films de John Waters, en moins queer mais ostensiblement plus crapoteux. Et les chansons composées par un certain Sparky Sugarman ne sont pas trop déshonorantes.

Tout l’or du ciel

Herbert Ross, 1981

À quel stade de sa carrière un acteur comique est-il censé franchir le cap du contre-emploi dramatique à la Tchao Pantin ? Pour Steve Martin (Three Amigos, Treize à la douzaine…), la décision s’impose juste après Un vrai schnock, son premier gros succès cinématographique. Au début des années 80, il accepte le rôle principal de Tout l’or du ciel (Pennies from Heaven en version originale), drame musical gloomy de Herbert Ross se déroulant durant la Grande Dépression, et adapté d’une série de la BBC. Martin ne ménage pas ses efforts pour convaincre les spectateurs qu’il est bien plus qu’un rigolo spécialisé dans les rôles de gentils neuneus : le comédien ira jusqu’à prendre des cours d’acting pour être crédible en tant que personnage tragique, et s’entraîner durement pendant six mois pour maîtriser l’art délicat des claquettes. Beaucoup d’investissement personnel pour rien, hélas : Tout l’or du ciel est un énorme fiasco à sa sortie en salles, malgré des critiques globalement plutôt positives.

Steve Martin y interprète Arthur, un vendeur de partitions musicales en mode grosse lose. Marié à Joan (Jessica Harper, Suspiria, Phantom of the Paradise), épouse complètement frigide et puritaine qui refuse obstinément de lui souffler dans la bistouflette, Arthur finit par être tellement en chien qu’il harcèl… séduit Eileen (Bernadette Peters), une jeune institutrice un peu naïve croisée dans un magasin de disques, puis l’abandonne avec un polichinelle dans le tiroir. Les mœurs de l’époque n’étant pas particulièrement progressistes, la future fille-mère se fait slut-shamer et licencier illico presto par son supérieur hiérarchique à peine moins réac’ que l’actuelle Cour Suprême des États-Unis. Pour échapper à la misère, Eileen décide d’avorter clandestinement, puis tombe tout naturellement dans l’enfer de la prostitution sous le pseudo nettement plus affriolant de « Lulu ». De son côté, Arthur se retrouve accusé à tort du meurtre d’une fillette aveugle assassinée par un clochard doux dingue à la calvitie galopante. Disons le tout net : c’est pas vraiment la fête du slip.

La vie c’est tellement plus magnifique sur grand écran que dans la réalité. C’est de ce constat pas frais du matin pêché que Tout l’or du ciel tire son principe narratif : contraster le quotidien sordide de ses personnages avec des chorégraphies chatoyantes qui évoquent les comédies musicales hollywoodiennes de Ginger Rogers et Fred Astaire — qui détesta copieusement le film de Herbert Ross malgré l’hommage appuyé à sa filmographie. La petite excentricité, ici, c’est qu’en dehors de très rares exceptions, les acteurs se contentent de faire du play-back sur des standards des années 30 dans les versions interprétées par les chanteurs de l’époque, aux qualités sonores forcément bien grésillantes. Étrange parti pris que de ne pas laisser les comédiens interpréter eux-mêmes les chansons du film, d’autant que certains, comme Bernadette Peters, ont déjà largement fait leurs preuves sur les planches de Broadway. Une fois l’effet de surprise passé, difficile cependant de ne pas tomber sous le charme ce très beau film peut-être un peu trop méta et déconstruit, visuellement éblouissant — merci Ken Adam, génial décorateur des premiers James Bond et de Docteur Folamour , injustement tombé dans l’oubli.

Weopon of choice origins

Rock Aliens

James Fargo, 1984

Ô toi, l’amateur éclairé de musique pop des années 80, peut-être te souviens-tu de When the Rain Begins to Fall, ce petit tube très funky-frais interprété par la chanteuse-slash-comédienne Pia Zadora en duo avec Jermaine Jackson, et de son clip super badass, régurgitation merveilleusement nanarde de post-apo à la Mad Max. Malgré de longues années d’enquête menée dans les recoins les plus mal famés du milieu du chobizeness interlope, j’avoue n’être jamais parvenu à savoir si When the Rain Begins to Fall avait été créée uniquement pour servir de véhicule promotionnel à Rock Aliens, film dont Pia Zadora tient justement le rôle principal féminin, ou si le producteur peu scrupuleux de ce curieux musical y a intégré la chanson au forceps pour surfer sur son relatif succès.
Toujours est-il qu’on entend When the Rain Begins to Fall à deux reprises au cours du film. La première fois au début, lorsque le clip est diffusé, in extenso, sur l’écran d’ordinateur d’un vaisseau spatial en forme de guitare électrique géante, sans véritable lien avec le reste de l’intrigue. La seconde lors de la scène finale, interprétée par Pia Zadora, et un twink caucasien à la banane soigneusement gominée, qui reprend en lip synch les parties chantées à l’origine par Jermaine Jackson… Ce qui constitue probablement l’un des pires cas de whitewashing de l’histoire de la comédie musicale.

En dehors de ce curieux doublon, Rock Aliens se présente comme une sympathique parodie des teen movies des années 60, qui raconte les mésaventures d’un groupe d’extra-terrestres en costume robe bonbon, débarqués à Speelburgh (sic), une petite ville minable des États-Unis, pour y chercher la « source » du rock’n’roll. Pia Zadora y joue le rôle de Dee Dee, une lycéenne rêvant de devenir chanteuse, qui va rendre fou d’amûr « ABCD », le chef blond-nazi des aliens. Ce qui chatouille inévitablement la jalousie maladive de Frankie, son petit ami leader d’un terrible gang de musiciens rockabillyMeanwhile, parce qu’il faut bien qu’il se passe quelque chose, un monstre aquatique et deux serial killers échappés de l’asile font trembler les malheureux habitants de Speelburgh.

Série Z plutôt cocasse, Rock Aliens a le mérite de ne pas tromper le fan de comédie musicale sur la marchandise : les chansons et les chorégraphies sont nombreuses, variées et relativement compétentes, si tu veux bien faire preuve d’un minimum d’indulgence envers les contraintes imposées par un budget de cinéma bis forcément rachitique.

Futur 2000
Déconstruction de la masculinité toxique

Le Vainqueur (Rhinestone)

Bob Clark, 1984

À ma gauche, Dolly Parton. Figure incontournable de la country music américaine, compositrice et interprète d’un nombre incalculables de hits, icône gay, et quelques jolis succès cinématographiques (La Cage aux poules, 9 to 5…) à son actif. À ma droite, Sylvester « Sly » Stallone. Star du cinéma bourrin — mais avec le cœur à gauche — , à l’époque encore en plein boom précédant sa phase terminale de ronaldreaganisation, déjà trois Rocky et un Rambo à son palmarès. Le Vainqueur (Rhinestone en version originale), c’est la rencontre au sommet de ces poids lourds de la pop culture US, un film musical qui repose sur la personnalité des deux stars, et qui ne pouvait produire que des étincelles (non).

Dès le générique du film, on apprend, un tantinet interloqué, que le scénario du Vainqueur s’inspire des paroles de la chanson Rhinestone Cowboy, popularisée outre-Atlantique par la suave interprétation de Glen Campbell. Mais ne nous laissons pas berner par une telle supercherie : l’intrigue du Vainqueur n’entretient qu’un rapport très, très lointain avec les lyrics pour le moins dépouillés de Rhinestone Cowboy — un cowboy, son cheval, ça se passe à New York, voili-voilou c’est terminou… Par contre, si tu possèdes le minimum syndical de culture générale pour être un crack au Trivial Pursuit, tu reconnaîtras sans peine derrière le scénario simplet du Vainqueur la trame narrative de Pygmalion / My Fair Lady, modernisée et « gender inversée ».

Jake (Dolly Parton) est une plantureuse chanteuse qui se produit dans un night-club country new-yorkais — oui, une telle chose existe. Harcelée sexuellement par Freddie, son manager, Jake essaye de s’en débarrasser en lui posant un défi : si elle parvient à transformer un péquin new-yorkais moyen en musicien country à peu près compétent, Freddie devra accepter de lui lâcher enfin les santiags. Mais si elle échoue, elle se résignera à coucher avec lui. Pas de chance, le péquin en question, c’est Nick Martinelli (Stallone), un chauffeur de taxi casse-cou qui possède le lourd handicap d’être italo-américain. C’est donc parti pour un stage de formation longue durée dans une petite ferme au fin fond du Tennessee, où Jake espère qu’au contact des rednecks locaux, le rital new-yorkais finira bien par se métamorphoser tout naturellement en musicien white trash.

Voilà, Le Vainqueur est un film bien gentillet et propre sur lui, et aurait presque pu fonctionner en tant que sympathique petite comédie romantique et musicale, à défaut d’être mémorable. Hélas, à la minute où Stallone fait son apparition, le film explose en vol. Le pauvre Sly ne possède en effet pas la moindre fibre humoristique, ce que la suite de sa carrière confirmera, souvent douloureusement : à chaque fois que son personnage est censé démontrer son absence de talent musical, Stallone se met à hurler littéralement n’importe quoi, frapper des instruments de musique en mode random comme un gros bébé relou, la bouche tordue par une grimace de dégoût, échouant malgré tous ses efforts laborieux à produire le moindre effet comique. Et ça ne s’améliore malheureusement pas vraiment dans le dernier tiers du film, lorsqu’il essaye de chanter à peu près « normalement », en solo ou en duo, les compositions de Dolly Parton, qu’il ruine systématiquement de sa grosse voix rauque et zozotante. Comme dirait Arnold : monumentale erreur de casting.

Fond de carrière

Breakin’ / Breakin’ 2: Electric Boogaloo

Joel Silberg / Sam Firstenberg, 1984

Une fois n’est pas coutume, je te convie, cher lecteur, à une double-séance. Au programme : la comédie musicale hip-hop Breakin’ (« Break Street 1984 » in ze french language of Molière) et sa suite directe Breakin’ 2: Electric Boogaloo, sortis tous les deux en salles la même année — hé oui, on ne perdait pas de temps à l’époque. Un projet cinématographique issu des cerveaux malades des producteurs de la Cannon, cette société qu’on ne présente plus aux fans de Chuck Norris, de vigilantes moustachus, de ninjas babtous… et à ceux qui ont lu le volume précédent de notre anthologie.

En effet, rappelle-toi, la dernière fois qu’on a évoqué la Cannon, c’était pour te parler de The Apple, sidérant nanar musical qui réussissait l’exploit d’être à la fois outrageusement queer et passablement homophobe. Entre ce premier galop d’essai calamiteux dans le genre si délicat de la comédie musicale et ces deux Breakin’, il faut bien reconnaître que la Cannon a fait de substantiels progrès. Malgré deux intrigues paresseuses, vagues prétextes pour enchaîner les scènes de breakdance filmées et montées à la scie sauteuse sous un déluge hystérique de couleurs fluo : Kelly est une jeune danseuse jazzy-jazzou 100% caucasienne qui kiffe trop d’aller s’encanailler de ouf’ dans le ghetto pauvre mais tellement plein de joie et de bonheur de vivre de Los Angeles, en compagnie d’« Ozone » et « Turbo », ses deux potos racisés et permanentés façon Michael Jackson période Thriller.

Pas besoin de t’en dire beaucoup plus, puisque les protagonistes des films, entre deux scènes de dialogues soporifiques, ne font quasiment rien d’autre que de se trémousser sauvagement sur des beats très scritchy-scritchy-scratch ou les freestyles d’un Ice-T à peine démoulé et manifestement tellement défoncé au crack qu’il finit, entre deux impros, par poignarder sauvagement au couteau de cuisine des disques vinyles qui ne lui ont pourtant rien fait. À la moindre petite occasion, que ce soit pour faire le ménage, visiter un ami à l’hôpital, ou pour régler des conflits entre bandes rivales, nos héros ne peuvent en effet pas s’empêcher de gigoter, moonwalker, faire la danse du robot, et prendre des poses syncopées plus ou moins ridicules tout en secouant leur boîte crânienne dans tous les sens.

Alors, évidemment, tout ça finit par être un petit peu usant, d’autant que les chorégraphies ont a à peu près aussi bien vieilli que la tecktonik. Pour ajouter l’insulte à l’injure, les deux films sont quasiment identiques, les acteurs pas très bons et ils n’arrêtent pas de lancer des regards caméra, ce qui est très-très déstabilisant. Horreur : y a aussi un mime qui fait du smurf. Heureusement, Breakin’ 1 et 2 débordent d’une énergie (trop ?) positive relativement communicative, et ravira sans aucun doute nos copines modasses férues de fashion abracadabrantesque des années 80. De plus, certains numéros valent vraiment le détour. À l’image de ce très honorable plagiat de la fameuse scène de Mariage royal où Fred Astaire gambade joyeusement sur les murs et le plafond de sa chambre d’hôtel.

Dancing on the Ceiling
Les années 80 c’est bath
No homo, bro

Parking

Jacques Demy, 1985

Malgré tout l’amour et le respect que mje porte au cinéma de Jacques Demy, je dois bien reconnaître qu’il ne faudrait parfois pas grand chose pour faire pencher tout un pan de sa filmographie vers le côté obscur du bis… À l’image, par exemple, du prodigieux nanar Parking.

À l’origine, Jacquot ambitionne de réaliser une de relecture rock’n’roll du mythe d’Orphée. Le cinéaste espère convaincre David Bowie d’interpréter son héros, sans succès. Son producteur lui alors propose d’engager à la place le gringalet frenchouille Francis Huster, pas super street-cred’ en rock-star tricolore, avec son bandana rouge à petites loupiotes clignotantes, ses chandails beiges tricotés à la main par Tata Jacqueline et ses vestes de survêt’ d’une laideur peu commune. Pire : l’acteur, qui envisage à l’époque de se lancer dans une carrière musicale, exige d’interpréter lui-même les chansons composées par un Michel Legrand en toute petite forme, dont le style jazz-choubidouwa ne colle déjà pas tout-à-fait aux aspirations glam-rock du film. Or il faut bien se rendre à l’évidence : non seulement Francis Huster joue comme une patate, mais en plus il ne sait absolument pas chanter. Certes, l’acteur n’a pas forcément de gros problèmes de justesse, c’est déjà ça de pris pour nos malheureux tympans… Mais son absence dramatique de coffre, ses intonations à côté de la plaque, son accent parigot — « j’ai beeeeuzouin deu touwa » — , sa gestuelle pataude constamment à côté de la plaque, et ses étranges mimiques achèvent de plonger le film, déjà plombé par des restrictions budgétaires qui ne permettent pas à Demy de donner de l’ampleur à sa vision, dans les abîmes du ridicule et de l’uncanny valley.

Rien, strictement rien, ne peut sauver Parking du jeu contre-nature-han de Francis Huster, qui vampirise littéralement l’écran de sa flamboyante nullité, faisant oublier quelques partis-pris esthétiques pourtant pas inintéressants — les passages en Enfer, notamment. Dans ces conditions, difficile de croire à ses scènes de concerts tournées dans un Bercy à moitié vide, où un public en délire — et j’imagine sourd comme un pot — ovationne les performances pour le moins discutables d’Orphée, alors qu’il tente péniblement de s’égosiller sur des mélodies toutes plus crucruches les unes que les autres, un large sourire bien mièvre aux lèvres.
Monument de comique involontaire, flop retentissant, Parking a bien failli mettre un terme à la carrière de Jacques Demy, qui remettra néanmoins le couvert une toute toute dernière fois en 1988 avec Trois places pour le 26.

Franciiiiiiiis, le best ouf

The Legend of the Stardust Brothers

Makoto Tezuka, 1985

Jusqu’à présent, nos rares incursions dans le domaine de la comédie musicale japonaise zarbie ne nous ont pas complètement convaincus, malgré la présence derrière la caméra de pointures du cinéma déviant telles que Takashi Miike ou Sono Sion. Giga surprise, The Legend of Stardust Brothers, ou Hoshikuzu kyôdai no densetsu dans la langue de Naruto — oui javou je suis payé au nombre de signes — nous a laissé une impression nettement plus positive.

À l’origine du projet, une poignée de chansons composées par le musicien Haruo Chikada, censées faire partie de la bande originale imaginaire d’un film qui n’existe pas. En 1985, le chemin de Chikada croise celui d’un jeune réalisateur de courts-métrages, Makoto Tezuka, rejeton du célébrissime mangaka Osamu Tezuka (Astro Boy, Black Jack, Le Roi Léo…). Ensemble, tout devient possible, et nos deux compadres parviennent tant bien que mal à bricoler un « véritable » scénario autour des compositions du musicien. Les mésaventures délirantes de deux chanteurs se détestant cordialement : Kan, un punk jovial et très efféminé, et Shingo, le leader aigri et ronchon-comme-Mélenchon d’un groupe new wave.

Lors d’un concert, nos deux antagonistes se font repérer par le responsable à rouflaquettes du label de disques Atomic. Ce dernier leur propose de collaborer, malgré leur rivalité, au sein d’un duo boys band monté de toutes pièces, les Stardust Brothers, en leur faisant miroiter un succès fulgurant. Chose promise, chose due : Kan et Shingo enchaînent rapidement les tubes, mais ne tardent pas à se faire rattraper par un mode de vie un poil trop rock’n’roll. Complètement cramées, les deux idoles se font remplacer dans le cœur des midinettes par Kaworu Niji, un David Bowie de sous-préfecture, plus jeune et plus androgyne, qui est en réalité #attentionspoiler un androïde… mais aussi le fils caché d’Adolf Hitler. Car le Führer, qui a donc survécu à son suicide à la fin de la Seconde guerre mondiale, tente de faire un come-back dans l’actualité internationale en essayant de prendre le pouvoir au Japon. Eeeeeet… c’est probablement à partir de ce moment-là que le film, déjà passablement barré, a commencé à me perdre.

Manifeste anarchique de l’esthétique pop des années 80, The Legend of Stardust Brothers a parfois l’air d’un film d’étudiant des beaux-arts un peu bricolo. Mais ses numéros musicaux débordent d’une inventivité visuelle DIY assez délirante et les chansons se laissent écouter, à condition de ne pas être trop allergique à la J-pop. Bonus point pour l’amateur de culture populaire nippone : une poignée de caméos relativement prestigieux, du cinéaste Kiyoshi Kurosawa au mangaka Monkey Punch (Lupin III), pour ne citer que les plus célèbres.

Delirium tremens

Golden Eighties

Chantal Ackerman, 1986

Surprise surprise : la comédie musicale vient parfois se nicher jusque dans les marges les plus underground du cinéma français… ou plutôt « belge » — mais c’est presque pareil — , puisque Chantal Akerman, réalisatrice de Golden Eighties, est une cinéaste originaire du plat pays qui est celui de mon arrière grand-mère.

Tu dois un peu t’en douter, le musical n’est pas forcément le genre de prédilection de cette réalisatrice à la filmographie relativement éclectique. Une filmographie sur laquelle je ne prendrais pas le risque de m’étendre, de crainte de m’attirer les foudres des journalistes pas toujours très commodes de la rédaction des Cahiers du Cinéma. Malgré les costumes aux couleurs criardes et les chansons pouët-pouët, Golden Eighties ne s’éloigne cependant pas trop des thématiques traditionnelles du cinéma franchouillard auteuriste : du bon gros marivaudage intergénérationnel sur fond de crise économique, ici dans un décor quasi unique, celui d’une galerie marchande parisienne. La jeune shampooineuse Mado (interprétée par Lio) est amoureuse de Robert, le fils des proprios d’un magasin de vêtements, qui est lui-même raide-dingo de Lili (Fanny Cottençon), la patronne du salon de coiffure aux mœurs olé-olé. Du côté des boomers, Jeanne (Delphine Seyrig, frisée comme un caniche qui sort du cabinet de toilettage), la maman de Robert, tombe par hasard sur son amour de jeunesse, un ancien G.I. rencontré à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Lassée de vendre des slips et des chaussettes, Jeanne hésite à tout plaquer, mari (Charles Denner), enfant et business familial, pour prendre la fuite avec son vieux beau yankee à l’accent abominable.

Ces atermoiements amoureux, sommes toutes assez classiques, sont régulièrement interrompus par une sorte de chœur antique composé de quatre acteurs lookés comme les membres du groupe L’Affaire Louis Trio, qui chantent a cappella des comptines aux paroles turbo-debiloutes écrites par Chantal herself — « Rooooobert cameeeembert, toooout veeeeert, Lili trililiiii mimiiiiiii pipi ! », encore plus crispant pour le spectateur de plus de cinq ans que le trash metal sataniste pour un militant de Civitas. Ces prestations douloureuses rappelleront aux plus anciens les heures les plus sombres de la carrière de Pow Wow, mais sont heureusement contrebalancées par des numéros musicaux beaucoup moins gênants, évoquant tour à tour le cinéma de Jacques Demy — c’est inévitable — et les vieux clips de Dorothée période service public.

Mimi comme tout, Golden Eighties pourrait presque faire partie de notre petit panthéon personnel s’il ne nous faisait pas régulièrement subir, entre deux chorégraphies brouillonnes, d’interminables logorrhées de commerçants désabusés sur l’augmentation des loyers et des charges locatives, les cessations de bail, les déficits ou la dévaluation du franc. Ce qui parviendra peut-être à susciter l’intérêt des experts comptables ou des conseillers fiscaux qui tomberaient par hasard sur ce film en traînant leurs guêtres sur Mubi.

HARA-KIRI, KIKI !

Billy the Kid and the Green Baize Vampire

Alan Clarke, 1987

Alors là, ATTENTION les yeux les amis, on part direct sur un des pitchs les plus brindezingues de la sélection, qui en a pourtant vu d’autres. Incroyable mais la vérité : Billy the Kid and the Green Baize Vampire est une comédie musicale qui parle de snooker. Mais qu’est-ce donc que le snooker, te demandes-tu probablement, mon cher public au béret et à la baguette-sous-le-bras. Hé bien, selon Wikipédia, le snooker est une variante du billard made in United Kingdom, dont je n’avais jamais ô grand jamais entendu parler jusqu’à ce que je découvre ce film anglais réalisé par un certain Alan Clarke. Tu admettras que la proposition de base est déjà suffisamment intrigante. Mais Billy the Kid and the Green Baize Vampire ne se contente pas d’être une BANALE comédie musicale sur le snooker. Non, Billy the Kid and the Green Baize Vampire est une comédie musicale… sur un match de snooker… opposant Billy the Kid à un putain de vampire.

Après avoir visionné la « chose », force est de constater que Billy the Kid and the Green Baize Vampire est un tout petit peu moins chéper que ce que laissait présager son titre à rallonge. Le Billy the Kid du titre ? Rien à voir avec le fameux hors-la-loi. Juste un gamin populo à l’accent cockney à couper au butterknife, un génie précoce du snooker fasciné par l’univers du Far West, interprété par Phil Daniels (le type qui bavasse continuellement dans Parklife, la chanson de Blur, c’est lui). Quant au « Green Baize Vampire », ce n’est pas vraiment un vampire — quoique… — , mais un certain Maxwell Randall (Alun Armstrong, vu dans l’impérissable chef-d’œuvre Le Retour de la momie), ex-champion de snooker vieillissant et petit-bourgeois, dont le kink consiste en se déguiser en Dracula, dormir dans un cercueil, et exposer le cadavre de son papounet à l’intérieur d’une table de billard en plexyglass. Billy et Maxwell se détestent cordialement, mais acceptent à contre-cœur, par pur orgueil, de participer à un match clandestin organisé par un gangster manipulateur aux mystérieuses motivations.

Une pincée de Tommy, une larmichette de The Wall, un soupçon de Brazil, et vous amalgamez. C’est l’étrange recette de Billy the Kid and the Green Baize Vampire : une œuvre boiteuse, baroque, excentrique, mais aussi un peu — n’ayons pas peur des mots, ce n’est pas le genre de la maison — POLITIQUE. L’affrontement entre nos deux champions de billard, et leurs fan-clubs respectifs, que tout oppose d’un point de vue générationnel et social, serait une allégorie de la Grande Bretagne thatchérienne des années 80. Ce qui explique sans doute en partie l’atmosphère pas très jojo, plutôt sombre et claustrophobique, du film, tourné intégralement en studio dans des décors sinistres… malgré un sujet trop délire invitant plutôt à la gaudriole.

Le billard, c’est tellement dansant
La danse des canards

Zero Patience

John Greyson, 1993

Hé bin voilà, il fallait bien que ça finisse par arriver : on t’a déniché une comédie musicale sur le SIDA. Ho, rien de trop-trop plombant, rassure-toi. Bien au contraire, Zero Patience est un petit film indépendant canadien qui déconstruit avec fantaisie et homoérotisme plus ou moins soft le mythe — depuis largement débunké — du « patient zéro » du SIDA. Le coupable idéal ? Un steward québécois qui aurait contracté le virus en Afrique, puis l’aurait introduit en Amérique du Nord en multipliant bien évidemment les rencontres sexuelles. Ici, le « patient zéro » (interprété par un certain Normand « Fauteux », ça ne s’invente pas) a tout simplement été rebaptisé « Zéro » et revient à la vie dans un sauna sous la forme d’un fantôme invisible aux yeux de tous.

Tous ? Non ! Un scientifique à la sexualité débridée, Richard Francis Burton — « Dick » pour les intimes — , aperçoit un jour le joli spectre planqué dans un fourré. Pour ta gouverne, Richard Francis Burton est à l’origine un intellectuel de l’ère victorienne qui a réellement existé. Tour à tour aventurier, écrivain, ethnologue, il est principalement reconnu pour avoir offert au monde occidental la première traduction non censurée des Mille et Une Nuits. Dans le lore du film, « Dick » est devenu immortel en buvant à une fontaine de jouvence et travaille désormais comme taxidermiste dans un musée. Peu scrupuleux et un peu filou sur les bords, Burton ambitionne de monter une exposition sur le « patient zéro », avec la fielleuse intention d’en faire un portrait 100% à charge. En manipulant notamment les témoignages des proches du revenant qui, de son côté, a bien l’intention de faire tout ce qui est en son pouvoir pour rétablir la vérité. Quitte à collaborer avec Burton et… finir par se faire rentrer le chocolat dans l’usine à Benco par le beau mais peu scrupuleux scientifique. Bah oui, banane, c’est un film gay, tu t’attendais à quoi ? Un tournoi de belote ?

Comme tu peux le constater, Zero Patience est un bon gros film high concept qui essaye tant bien que mal de brasser une quantité astronomique de thématiques (homosexualité, SIDA, Act Up, orientalisme, dérives mercantiles de la science). Selon l’adage populaire, qui trop embrasse mal étreint, et, pour ne rien arranger, Zero Patience cumule un peu les travers du film pour festival LGBT, malgré son entreprise louable de réhabilitation… Mais peut-on vraiment en vouloir à un film qui montre des anus qui chantent et des monsieurs tout nus faire l’hélicoptère avec leurs zizis ?

Il peut pas il a piscine

Cannibal! The Musical

Trey Parker, 1993

États Unis d’Amérique, fin du XIXe siècle. Le chercheur d’or Alfred — ou « Alferd », les deux sont acceptés au Scrabble — Packer, quitte l’Utah avec cinq compagnons pour aller chercher fortune dans une mine d’or du Colorado. Au bout de quelques semaines de joyeuse randonnée dans les plaines du Far West, l’expédition prend un tournant tragique lorsque nos aventuriers, un peu neuneus sur les bords, décident de traverser les montagnes Rocheuses au beau milieu de l’hiver. Seul Alfred Packer parvient à sortir de cet enfer blanc et à rejoindre le monde civilisé, non sans avoir, au passage, goulûment boulotté la chair fraîche de ses camarades, histoire, je suppose, de ne pas mourir de faim.

Fasciné par ce sordide fait divers, le tout jeune Trey Parker — l’un des deux futurs créateurs, avec Matt Stone, de la série animée South Park — prend la décision d’en faire une comédie musicale, qu’il écrit, réalise, dont il compose les chansons et interprète le rôle principal. Humour trash et potache, réappropriation tongue-in-cheek des codes du cinéma bis, étrange fixette sur les mormons, toutes les bases du corpus artistique de Parker et Stone sont déjà présentes dans Cannibal! The Musical, à un stade embryonnaire et, il faut bien l’avouer, sous une forme encore un peu discount. Malgré son concept fort appétissant, Cannibal! ne parvient pas toujours à dépasser son côté blague de frat bros bourrés à la mauvaise bière, et n’a pas forcément toujours très bien vieilli : en dehors de quelques notables exceptions — la tribu d’indiens interprétés par des acteurs japonais — , la plupart des gags tombent un peu à plat. En dehors des effets gores, très réussis, le manque de moyens se fait aussi souvent cruellement ressentir, alors qu’avec plus de bouteille, le dynamique duo aurait sans aucun doute trouvé le moyen d’en tirer parti.

Par chance, le songwriting tient plutôt bien la distance, malgré des chansons souvent un poil trop courtes, l’interprétation souvent très approximative et les orchestrations à base d’arrangements MIDI vraiment basiques, même au second degré. Impossible de douter de cette passion sincère et érudite pour la comédie musicale, qui transpire de la moindre chanson-pastiche, plutôt surprenante de la part de deux bons gros hétérosexuels comme Parker et Stone. Comme quoi, y en a des biens.

Double-sens interdits

The Lure (Córki Dancingu)

Agnieszka Smoczynska, 2015

Mesdames et messieurs, laisse-moi t’introduire le power trio musical le plus hétérogène de toute la Pologne, composé d’une chanteuse dépressive entre deux âges qui a connu son petit quart d’heure de gloire durant sa folle jeunesse, d’un daddy batteur bedonnant affublé d’une atroce queue de rat, et d’un twink bassiste à belles boucles blondes. Un soir, alors que les trois musiciens s’offrent un bœuf nocturne super sympa sur une plage abandonnée, ils attirent sans le vouloir l’attention d’une paire de jeunes et jolies sirènes, Or et Argent. Subjuguées, les deux créatures décident alors de faire une petit break dans leur voyage vers les Amériques et se font engager en tant que strip-teaseuses par le patron particulièrement visqueux et tactile de la boîte de nuit sordide où le groupe se produit régulièrement.

Leur numéro antispéciste rencontre rapidement un joli succès auprès d’un public de pervers aux kinks hyper chelous. Dans leur routine quotidienne, les sirènes ont par contre bien du mal à s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie terrestre… Pas toujours facile de mener une existence à peu près normale quand ta queue de poisson repousse systématiquement au contact de la moindre gouttelette de pluie, où quand ton anus et ton vagin se font mystérieusement la malle à chaque fois que tu retrouves ta forme humanoïde bipède — ce qui ne doit pas arranger ton transit intestinal. Argent, la gentille jumelle, finit par tomber amoureuse du beau bassiste, qui n’est lui-même pas totalement indifférent au charme iodé de la jeune mi-femme mi-truite saumonée, même s’il bloque un poquito sur l’aspect forcément crypto-zoophile de leur relation. De son côté, Or — zi evil twin — se laisse aller sans trop de scrupules à ses bas instincts anthropophages en séduisant et en dévorant avec ses toutes pitites dents pointues des Polonais généralement bourrés à la vodka soviétique, sans distinction de sexe — voilà où mène la bisexualité, les enfants.

Relecture glauquissime du conte de Hans Christian Andersen, plongée dans une Pologne fantasmée des années 80, The Lure mélange numéros musicaux plus ou moins chatoyants et body horror bien craspec. Visuellement plutôt abouti — à condition de ne pas être allergique aux camaïeux de couleurs verdâtres — , le film de la réalisatrice Agnieszka Smoczynska se perd malheureusement un peu trop dans les circonvolutions d’un scénar’ parfois confus, avec ses ellipses radicales, ses twists forcés, et les motivations obscures de ses personnages. Soyons lucides, ça ne constitue pas forcément un handicap gigantesque pour une comédie musicale, mais te voilà tout de même prévenu.

En queue de poisson

En bref

On a vu tout ça aussi, mais on ne les a pas inclus dans la sélec’. Pourquoi ? Parce que.

Embrasse-moi, chérie, George Sidney, 1953

Petit classique de l’âge d’or hollywoodien, Embrasse-moi, chérie (Kiss Me, Kate) raconte les déboires amoureux, sur scène et dans les coulisses, d’un couple de comédiens lors de la première représentation d’un musical inspiré par La Mégère Apprivoisée. En dehors de ce principe de mise en abyme, assez répandu dans la comédie musicale américaine, Embrasse-moi, chérie se distingue surtout du tout venant de l’époque par le fait d’avoir été tourné et projeté en 3D. Ce qui explique la sale habitude, pour le moins curieuse lorsqu’on regarde le film en 2D, que les acteurs du film ont à balancer toutes sortes d’objets à la tronche du spectateur.

Oklahoma!, Fred Zinnemann, 1955

Si la comédie musicale originale de Rodgers et Hammerstein fait partie des grands classiques de Broadway, on a un peu l’impression que son adaptation cinématographique est un peu plus boudée par les rats de cinémathèque. Et c’est bien dommage parce que malgré l’absence de véritable star derrière et en face de la caméra, Oklahoma! est un somptueux western musical aux chansons sublimes, d’un style un peu académique, certes, mais qui possède malgré tout quelques surprenantes fulgurances, comme cette étourdissante séquence de rêve, qui tourne peu à peu au cauchemar.

La Blonde ou la Rousse, George Sidney, 1957

Joey Evans, interprété par Franck Sinatra, se fait bannir de la petite bourgade américaine qu’il squatte parce qu’il a osé fricoter avec la fille — mineure — du maire de la ville. Halala, sacré Frankie, il en rate pas une, celui-là. Sans boulot et sans domicile fixe, il finit par décrocher un job de meneur de revue dans un bouge de San Francisco. Point de départ d’un imbroglio amoureux entre Sinatra, une blonde danseuse interprétée par la butchissime Kim Novak, la rouquine Rita Hayworth dans le rôle d’une grande bourgeoise possessive et… Snuffy, un tichien tro mignon. Pas grand chose à signaler sur cette adaptation correcte d’un musical de Rodgers et Hart, en dehors de deux standards, Bewitched, Bothered and Bewildered, et The Lady Is a Tramp, merveilleusement interprétés par « Ol’ Blue Eyes ».

Darby O’Gill et les Farfadets, Robert Stevenson, 1959

Le croiras-tu ? Trois ans avant d’endosser le smok’ de l’agent britannique le plus célèbre de la planète, Sean Connery se contentait de pousser la chansonnette dans une fantaisie produite par Disney, baguenaudant joyeusement dans les vertes vallées de Calif… d’Irlande aux côtés d’espiègles petits lutins trop croquinounouches. Conte pour enfants visuellement sublime, désormais un peu tombé dans l’oubli, Darby O’Gill et les Farfadets n’a pas franchement fait d’étincelles à sa sortie en salles mais repose, aujourd’hui encore, sur une jolie petite prouesse technique. Les effets spéciaux, assez incroyables pour l’époque, auraient presque de quoi rendre vert de jalousie le Peter Jackson du Seigneur des anneaux.

Une Femme est une femme, Jean-Luc Godard, 1961

JLG s’amuse à rendre les dialogues de son film complètement inaudibles en les recouvrant de nappes de free jazz cacophonique composé par Michel Legrand, le volume sonore à fond les ballons. Mais rassure-toi, aficionado de crypto-comédie musicale méta, en dehors de ces agressions auditives, il y a bien quelques passages chantés, horriblement mal, bien évidemment — bah oui, c’est la Nouvelle Vague je te rappelle, pas du divertissement dégénéré pour petit-bourgeois réactionnaires. Et quelques rares « chorégraphies » consistant à figer les acteurs dans des postures rigolol. Du Godard pur jus de pruneau… en mode mineur tout de même.

Vacances d’été, Peter Yates, 1963

Avant de se faire grand-remplacer par les Beatles, Cliff Richard a porté sur ses frêles épaules velues tout le poids du rock’n’roll britannique. Comme son idole Elvis, Richard s’est aussi retrouvé à roucouler dans moult films musicaux tous plus anodins et inoffensifs les uns que les autres, dont Vacances d’été, road movie « en chanté » réalisé par Peter Yates (Bullitt), qui raconte les mésaventures d’une bande de jeunes Britons, en vadrouille sur les routes d’Europe dans un autobus à l’impériale. Sans surprise, Cliff Richard chante beaucoup mieux qu’il ne joue la comédie, et Summer Holiday, la toute douce chanson-titre, est particulièrement agréable à écouter au bord de la piscine, en sirotant un mojito framboise.

American Pop, Ralph Bakshi, 1981

J’éprouve beaucoup de tendresse pour le cinéma un peu pété de Ralph Bakshi (Fritz le Chat, Le Seigneur des Anneaux…), même si ces films d’animation ont toujours un côté un peu brouillon et que sa déraisonnable passion pour la rotoscopie se traduit bien trop souvent par des personnages limite flippants, grimaçants, à la gestuelle over-the-top. American Pop est une de ses œuvres les plus abouties, et — étonnamment — un de ses plus gros succès : un long trip psychédélique qui raconte l’histoire d’une famille de musiciens juifs, immigrés aux États-Unis pour échapper aux pogroms russes, de la fin du XIXe siècle aux débuts du punk. Une curieuse épopée musicale rythmée par de nombreux standards de jazz et de rock’n’roll (Gershwin, Hancock, Dylan, Hendrix, The Doors…).

Possibly in Michigan, Cecelia Condit, 1983

S’il avait duré une heure de plus, Possibly in Michigan aurait amplement mérité de faire partie de la sélection principale. Oui mais voilà, ce court-métrage d’horreur musicalo-expérimentalo-féministe, qui raconte l’histoire de deux jeunes femmes poursuivies par un inquiétant cannibale, se boucle en une petite douzaine de minutes. À moins d’accoucher d’une analyse plan par plan, ce qui est au-dessus de mes forces, je vois mal comment en tirer beaucoup plus qu’une brève. À noter que Possibly in Michigan a connu un regain d’intérêt auprès des ados tiktokeurs il y a quelques années en étant régulièrement lip-synché sur le réseau social, et que tu peux toujours le visionner sur YouTube si le cœur (bien accroché) t’en dit.

Dance With Me, Shinobu Yaguchi, 2019

Après une séance d’hypnose chez un magicien bas de gamme, Suzuki découvre qu’elle ne peut s’empêcher de chanter et de danser dès qu’elle entend la moindre petite note de musique. Tout l’humour du film repose sur le décalage entre les fantasmes de la jeune femme, qui s’imagine héroïne de comédie musicale à chaque fois qu’elle se trouve sous l’emprise du sort, et la réalité telle qu’elle est perçue par le monde extérieur : la vision gênante d’une foldingote qui danse toute seule de manière totalement chaotique et détruit tout sur son passage. La première partie de Dance With Me est franchement drôle mais, très vite, le mi-film mi-karaoké ne semble plus trop savoir quoi faire de ce ressort comique assez génial et se transforme en road movie charmant mais nettement plus conventionnel, où notre héroïne part à la recherche de l’hypnotiseur à travers tout le Japon en compagnie de l’assistante du magicien, dans l’espoir de se faire désenvoûter.

Tralala, Arnaud et Jean-Marie Larrieu, 2021

Les Larrieu bros. ont leur aficionados. En tant qu’homme de gauche ouvert sur les autres, je peux éventuellement tolérer cette abominable déviance. Personnellement, leur comédie musicale Tralala m’a donné l’impression de visionner l’adaptation cinématographique d’une chanson ultra-cucul de Cali. Pourtant, le concept de départ a le mérite d’être original : les Larrieux ont attribué à chaque personnage du film un songwriter attitré, généralement issu de ce qué s’appelerio la « nouvelle scène française » dans les années 90. Le résultat s’avère malheureusement plutôt discutable. On a beau kiffer Katerine, on ne peut pas dire qu’il se soit beaucoup décarcassé avec ses compos freestyle et le recyclage un peu paresseux d’une partie de son répertoire. Quant à SEIN, le duo de jeunes électro-rappeurs hipsters, leurs morceaux m’ont donné envie de m’encarter direct chez Les Républicains. Deux heures de torture psychologique hardcore malgré la présence ténébreuse de l’impeccable chanteur-compositeur Bertrand Belin.

La playlist

Pour te remercier d’avoir tenu jusque tout en bas de la page on t’a fait une tite playlist avec les « meilleures » chansons. Tout n’est pas dispo sur les sites de streaming (malheureusement ?) mais on a fait le maximum.

iTunes : https://music.apple.com/fr/playlist/its-broadway-bitch/pl.u-e98lZr5fzDMBE8

Spotify : https://open.spotify.com/playlist/0a6OxCz2LzbPfCpSZq7pQ7?si=Nze8iia5QgOiSMH9ZoAm7w

Youtube (je ne sais pas si c’est forcément un cadeau pour tes oreilles mais c’est la plus complète) : https://www.youtube.com/playlist?list=PLzTrVR1XKpOIPO_ZLlRbQOJcVUZFeci4w

Le top

Si tu veux y voir plus clair dans les qualités respectives des films sélectionnés, tu peux toujours jeter un coup d’œil à mon top Senscritique ici : senscritique.com/liste/Le_cabinet_des_curiosites_de_la_comedie_musicale/2722354

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